TREZIERS 1956
Le village de Tréziers en 1956. Souvenirs d'un jeune parisien, Jean-Pierre, en vacances chez ses grands parents.
L'ÉCOLE COMMUNALE
A l’âge de sept ans je suis allé au mariage de mon cousin Marcel. Ce mariage a eu lieu dans la région de Toulouse. J’y ai rejoint mes grands-parents maternels qui habitaient le petit village de Tréziers au pied des Pyrénées. Je suis reparti avec eux, fin juin et comme l’école ne se terminait que le 14 juillet, ils me mirent à l’école du village. C’était une école qui ne comptait que quatorze élèves, garçons et filles, répartis du cours préparatoire au Certificat d’Études. L’institutrice avait fort à faire devant une telle répartition. Elle faisait lire les uns pendant qu’elle donnait un devoir aux autres. La récréation qui était étalée permettait d’interroger certains élèves, oralement, pendant que les autres étaient dans la cours. Cette petite cours avait dans un angle un préau, et donnait par quelques marches sur un petit jardin fleuri. La classe avait en son centre un poële à charbon muni d’un tuyau qui montait d’abord verticalement pour ensuite s’incliner et déboucher sur l’extérieur par un orifice ménagé dans le mur de façade. L’après-midi nous allions faire des leçons de choses dans les champs, observant les insectes, les fleurs, les arbres etc.…
LE CURE
L’instituteur était à l’époque un notable au même titre que le curé et le maire. Dans ce petit village il y avait une église, mais pas de curé, celui-ci faisait sa tournée le dimanche et disait la messe dans l’après-midi. Il montait au village dans une voiture à deux places très petite, C’était, je crois, une Simca. Après la messe il venait parfois à la maison prendre le café ou le " Nes " comme disait ma grand-mère. Elle sortait alors les friands, c’était des petits gâteaux triangulaires extrêmement secs et parfumés à l’anis, que le pauvre curé trempait dans son café, faute d’avoir encore des dents pour les mordre.
LE TÉLÉPHONE
L’école était munie d’un téléphone public, c’était le 1 à Tréziers. On pouvait l’obtenir par l’opératrice ou téléphoner de ce poste. Pour appeler Paris il fallait également appeler l’opératrice en tournant une manivelle, demander le numéro et patienter parfois un quart d’heure, parfois plus…
Le maire avait aussi le téléphone. Il était marchand de fourrage. Il avait également une voiture, chose rare dans le village. Il était le seul à cette époque, et le lundi, jour du marché à Mirepoix, un car ou une traction Citroën 15 venait chercher les personnes qui désiraient descendre à la ville. Le maire avait une 403 Peugeot. Dans la " 15 " nous étions entassés et prenions du monde en route. Le retour était pire, le coffre était plein de sacs, de bouteilles de gaz et de volailles vivantes…
MES GRANDS PARENTS
Mon grand-père ne venait jamais à la ville, trop heureux de mener sa petite vie tranquille de retraité. " Je suis plus heureux que Coty " disait-il souvent. Ancien gendarme ayant vécu à Paris, il était retourné prendre sa retraite dans son village natal. Tous les matins il se levait à six heures, en été, prenait un peu de café, et chaussait ses sabots pour aller travailler dans son jardin jusqu’à dix heures. A ce moment là il rentrait à la maison et mangeait du fromage, du saucisson avec le gros pain du boulanger qui passait chaque jour. Ensuite il attendait le facteur et lisait son journal. Après le repas il allait faire sa sieste au grenier. Vers quatre heures il redescendait, bricolait un peu, jusqu’à l’heure de l’arrosage. Il y passait beaucoup de temps, soit avec l’arrosoir en zinc, soit avec un tuyau noir rafistolé avec des bouts de chambre à air et de la ficelle. Il excellait dans ses rafistolages à la Dubout. La porte du jardin, car le jardin était clos à cause des poules et autres volailles, avait des charnières en cuir… et fermait par un bout de fil de fer qu’on rabattait sur un pieu. Il ne se promenait jamais dans le jardin sans sa binette et arrachait la mauvaise herbe dès qu’elle pointait ses feuilles hors de terre.
Cependant ses soins étaient récompensés et il obtenait de beaux légumes et fruits et mes grands-parents pouvaient ainsi se nourrir pendant toute l’année grâce aux conserves qu’ils faisaient. Ils n’achetaient pratiquement rien, quelques nouilles, le café, un peu de fromage et de beurre, le lait et le pain, un morceau de viande par semaine quand nous étions là, pour changer de la cuisine ordinaire.
Ma grand-mère cuisinait au feu de bois dans une grande cheminée, l’hiver elle allumait le fourneau qui contenait une cuve pour chauffer l’eau munie d’un robinet à poignée en émail. Mais il faisait bien trop chaud en été pour s’en servir. Elle utilisait le gaz pour faire chauffer le café ou le lait.
La cuisine au feu de bois donnait une saveur particulière, ainsi que la graisse d’oie qu’elle utilisait à profusion. J’ai souvent recherché la saveur de ses pommes de terre-courgettes à la poêle, ses pommes de terre farcies, et son cassoulet. Hélas il n’est plus possible d’utiliser des ingrédients aussi savoureux qu’à cette époque où les produits étaient naturels, mûris au soleil et récoltés quelques heures avant la cuisson. Mon grand-père avait un jardin qui faisait bien mille mètres carrés, mais il avait également à une centaine de mètres de là un champs e, pente dont la partie la plus horizontale, située près de la route était aussi cultivée, il y faisait des melons et des betteraves pour le cochon. Si bien que les melons poussaient à profusion et lorsqu’un de ceux-ci n’était pas assez savoureux il finissait dans l’auge du cochon et les graines étaient données aux poules. Rien ne se perdait, les épluchures finissaient sur le tas de fumier, de même que la paille des litières, et les fanes des légumes.
LE PAYS DE TREZIERS
Derrière la maison il y avait un vaste pré, qui descendait également vers une haie, plus loin une autre colline et en haut un village, enfin trois ou quatre maisons, cela s’appelait le Casals. Nous ne connaissions pas les habitants, nous les voyions de loin aller au champ, faucher, récolter les céréales, mais il n’y avait pas de chemin direct pour y accéder.
Sur la façade de la maison nous avions une vue plus dégagée, au-delà de la haie qui bordait la route, la vue descendait d’abord vers la rivière, l’Hers, où mon grand-père allait pêcher de temps en temps, il en rapportant des goujons, et une fois il avait attrapé une anguille… il était très fier ce jour-là et nous l’avions mangé le soir même.
Cette rivière avait beaucoup de courant et il n’était pas facile de la traverser. Au-delà le terrain remontait en pente douce jusqu’au sommet d’une autre colline sur laquelle trônait un véritable château-fort. C’était le château de Lagarde. Nous avions fait parler les anciens sur ce château. Il avait un pont-levis, des tours d’angle, un fossé qui l’entourait et bien que le terrain soit en partie effondré, il restait encore quelques salles, dont une écurie et la salle des gardes. Il aurait contenu également des oubliettes que nous n’avons jamais trouvées. Mais cela nous donnait l’envie d’explorer ces ruines. Plus tard le château jugé trop dangereux fut fermé au public.
LE MARÉCHAL FERRAND
Dans ce village habitait encore le maréchal-ferrant. Nous le voyions quelques fois dans sa forge. Mais il était souvent dans les villages environnants où il ferrait les bœufs, ou quelques vaches.
Chaque village d’importance avait un "fouarail", c’était une bâtisse faite de trois murs en briques et d’un toit de tuile dans lequel était installé un échafaudage de bois dans lequel on faisait rentrer la bête. Une sorte de joug permettait de lui maintenir la tête sanglée par une lanière de cuir. Un système de larges sangles passait sous le ventre de l’animal, et grâce à un cliquet on pouvait le soulever de terre. L’une de ses pattes alternativement était attachée sur une traverse horizontale et le maréchal-ferrant pouvait travailler à son aise. Quelque fois l’animal avait un peu mal ou un peu peur et il se secouait faisant trembler tout l’édifice ainsi que les gamins curieux qui observaient la scène, surtout le " Parigot " qui n’entendait rien aux choses de la campagne…
LE CHÂTEAU
Le village de Tréziers a plus de sept cents ans d'existence, mais en dehors du château qui était une construction moyenâgeuse, un peu fortifiée, les maisons n'avaient pas d'âge apparent.. Village à la frontière entre l’Aude et l’Ariège, il comptait quarante-sept habitants en hiver, environ une centaine en été. Il y avait un château, c’était une bâtisse fortifiée, avec une façade sur la rue massive, munie de meurtrières, il n’y avait plus de mur d’enceinte et pas de fossé. On y rentrait par une solide porte en bois qui était toujours ouverte. Au bout du couloir s’ouvrait une autre porte donnant dans une vaste cuisine avec une grande cheminée en pierre. La famille qui y habitait, vivait là dans la journée, des chambres s’ouvraient à l’étage, mais je n’y suis jamais allé. Un jeune garçon vivait avec ses parents qui étaient des métayers. Les métayers s’occupaient de la propriété qui appartenait à une personne extérieure au village, il n’était pas payé en argent liquide, mais une partie de la production de céréales lui revenait et certaines des bêtes lui appartenaient en propre. Elles profitaient des champs et des ressources de la ferme. Il y avait dans le château une vingtaine de vaches laitières, des canards, des cochons, des volailles. Chaque jour en été les enfants conduisaient les troupeaux dans les prés, parfois éloignés de plus d’un kilomètre de l’étable. Matin et soir les troupeaux passaient sur le chemin et j’allais avec les autres enfants garder les troupeaux. Il ne fallait pas que le bétail aille dans le pré du voisin, ni manger de la luzerne fraîche qui les rendait malades. Le chien aidait à regrouper le bétail. Pendant trois heures nous jouions dans les haies, à l’abri du vent.
LE VELO
Quelques fois je les rejoignais à vélo. Lorsque j’ai eu une taille suffisante pour monter sur un vélo d’homme, ma grand-mère à dépendu le vélo de mon grand-père. Un fameux vélo, Peugeot, avec un guidon relevé, des poignées en bois, et des freins à tiges rigides. Ma mère avait acheté à Mirepoix un jeu de freins à câble pour mille francs. C’était plus sûr, mais cela ne m’a pas empêché de tomber une fois sur le gravillon de la route et de me râper la figure. J’ai été enflé pendant au moins huit jours. Il n’en demeure pas moins que ce brave vélo, a encore parcouru des kilomètres supplémentaires. Je n’ai pas vu beaucoup mon grand-père en faire, sauf une fois, il pédalait avec les sabots de bois, les pieds écartés, avec le gilet et le pantalon à rayures.
LA LUGE
Parmi les jeux que nous avions entre nous, il y avait la luge. En plein été cela peut sembler drôle mais il existait un champ qui présentait une très forte pente sur sept ou huit mètres. Nous avions construit chacun une sorte de luge avec quelques planches et savonné les patins pour faire mieux glisser ces luges et nous descendions cette pente. Le plus amusant était la construction de l’engin. J’avais monté une luge à trois skis, un devant et deux derrière, avec une barre en travers pour poser les pieds et une planche servant de siège. Une ficelle permettait de se retenir. Elle n’était pas bien solide et il fallut la consolider plusieurs fois.
LES ENFANTS
Les enfants du village n’étaient pas nombreux, Jacky était le fils du château, un peu plus vieux que moi, Lulu vivait en face du château, son père était à la retraite ou n’était pas employé. François et Carmen étaient les enfants du métayer de l’épicier. En fait j’ai peu connu l’épicerie, c’était une pièce de quelques mètres carrés, la principale activité de l’épicier étant sa tournée des villages alentour. Il était donc rarement là, puis il a pris rapidement sa retraite dans un autre village et il n’y eut plus aucun commerce sur place. Il y avait encore un enfant dans une autre ferme du village, chez les Lugas. Il y avait encore trois autres enfants chez une grand-mère qui s’occupait d’eux... (1)
Les autres enfants venaient passer une partie des vacances chez leurs grands-parents. Un petit-fils du maire était belge et vivait à Liège où son père était garagiste. Ils venaient en Studbaker, espèce d’énorme voiture type cabriolet. A seize ans il avait le droit de conduire la voiture selon la loi belge, qui n’exigeait pas encore à l’époque de permis de conduire.
LES BŒUFS
Pour ma part j’allais souvent avec un couple de paysans qui travaillaient aux champs avec une paire de bœufs. J’aimais conduire ces deux grands bœufs blancs. Au début ils ne voulaient pas avancer lorsque je leur demandais. Puis la voix du maître les faisait avancer et ils ont fini par m’obéir. Ils travaillaient ensemble depuis longtemps, chacun avait son côté sous le joug. Ce joug était une pièce de bois sculptée et polie par les frottements. Il était fixé par deux lanières de cuir qui faisaient une dizaine de mètres de long. Le joug était posé dans l’étable. Ensuite les bœufs étaient menés jusqu’à la charrette en bois à grandes roues. Le roulement sur la chaussée faisait beaucoup de bruit. Chaque jour après la moisson, matin et soir nous allions chercher une ou deux charretées de gerbes de blé ou d’avoine dans les champs, puis les porter ensuite sur l’aire de dépiquage.
LE DÉPIQUAGE
Le dépiquage était un grand événement dans le village. Les paysans s’y préparaient en achevant de faire les meules de gerbes. Elles étaient immenses, une dizaine de mètres de long, au moins quatre mètres de large et trois à quatre mètres de haut, avec la partie supérieure en forme de toit comme les chaumières, et les épis tous orientés vers l’intérieur de manière à ce qu’une pluie ne vienne pas faire pourrir les épis. Les meules étaient parfaitement régulières, entre elles il y avait un espace permettant de recevoir les machines. Dans le village il y avait deux sites, l’un près de la maison de mon grand-père, l’autre dans une autre ferme à l’autre extrémité du village.
Nous, les enfants nous attendions également cet événement. Et puis un soir les dépiqueurs arrivaient. Il y avait deux ou trois hommes, montés sur un tracteur conduisant ce gigantesque attelage.
Le tracteur était assez gros, noir, plein d’huile et il était muni d’un grand volant de près d’un mètre de diamètre et de quinze centimètres de large. La surface de la roue était polie par le frottement d’une immense courroie. Évidemment pendant la circulation le volant était arrêté.
Nous voyons donc passer cet étrange attelage, derrière le tracteur une immense remorque jaune avec un grand bras comme une sorte de flèche de grue, derrière, une seconde remorque rouge, principalement en bois, et encore à la suite une sorte de petit fourgon rouge également à quatre roues, l’ensemble faisait pas loin d’une trentaine de mètres. C’est vous dire que le pauvre tracteur ne montrait pas bien vite la côte qui menait au village et que nous avions le temps de le voir passer.
Et pendant une huitaine de jours le village entier vivait à l’heure du dépiquage. Lever tôt, coucher tard, les journées étaient longues. Les trois quart du village s’activaient, quelques-uns ne participaient pas à l’activité, pour ne pas aider le cultivateur qui traitait son blé ou son avoine, ils étaient fâchés pour quelque mauvaise raison bien tenace… car les rancœurs étaient tenaces. Ainsi mes grands-parents étaient fâchés avec la Pépette. C’était une femme d’un certain âge ayant vécu à la ville et qui ne faisait plus rien que de couler des jours paisibles dans le village. Elle était souvent fardée, maquillée à outrance pour l’époque, d’où son surnom. Mon grand-père en coupant son bois avait taillé quelques branches de ses arbres n’ayant pas vu la borne qui séparait les deux parcelles. Cela valut des dommages et intérêts devant notaire, d’où cette fâcherie…
N’ayant que peu de distraction la société s’épiait. Ma grand-mère entendant une voiture passer ne pouvait s’empêcher d’aller ouvrir la petite fenêtre en verre cathédrale qui donnait du jour à travers la porte d’entrée pour savoir qui venait de passer. Il n’y avait alors pas plus de deux voitures par jour…
Donc la population s’activait autour de ces machines, les uns approvisionnant de gerbes réouvertes cette goulue, d’autres remplissaient les sacs, tandis que d’autres passaient des fils de fer pour lier les balles de paille. D’autres enfin transportaient les sacs et les balles sur des remorques du tracteur et les déposaient dans les granges. Enfin les enfants portaient à boire ou à manger. Le vin, certes assez léger, aidait à humidifier les gorges asséchées par les poussières…
A la fin de la journée, c’est-à-dire quand la nuit tombait tout le monde regagnait la ferme et s’attablait autour de grandes tables garnies de victuailles et festoyait jusque tard dans la nuit… puis tout redevenait calme pour quelques heures de sommeil profond tant la fatigue se faisait sentir. J’ai souvenir d’une de ces soirées au Château où j’avais été invité, il y avait une belle tablée, une cinquantaine de personnes au moins qui avaient travaillé dur toute la journée et qui se détendaient.
Quelques jours plus tard tout était fini et le village reprenait sa vie tranquille, rythmée par le passage des troupeaux allant paître, le passage du boulanger et du facteur. Le facteur avait une tournée d’au moins vingt-cinq kilomètres qu’il effectuait au début à bicyclette avec son sac en cuir, il devait monter au village et je puis vous dire que ce n’était pas un mince effort, ayant fait ce simple parcours plusieurs fois, j’en connaissais chaque virage, et il y avait plus de 200 mètres de dénivelé sur 2,5 Km, dont quelques portions particulièrement raides. Ensuite le facteur montait en moto, une 125 CC Motobécane avec changement de vitesse sur le côté du réservoir.
Il est probable qu'à part les engins à moteur et l'électricité ainsi que l'eau courante, le village vivait comme il avait dû toujours vivre, au rythme des saisons. Mais sa population s'amenuisait, les champs nécessitant moins de bras depuis la mécanisation. Le village vivait encore en autarcie ou presque, ce n'est sans doute plus vrai de nos jours.
Texte de Jean Pierre Cardeaud
(1) Passage supprimé à la demande de M. Jean Louis Fabre qui considère que sa famille est offensée dans ce témoignage.
ISSN :
1626-0139
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